Aimer la vie
David Hockney, Bozar, Bruxelles
08.10.21 - 23.01.22
A l’automne, les feuilles changent de couleurs. Elles passent du vert au jaune, à l’ocre, couleurs vives que le soleil d'été a réchauffées. Puis les feuilles, au printemps bien accrochées à leur branche mère, tombent sur le sol comme des pleurs. Sous la grisaille parfois tenace de Bruxelles, une percée dans le brouillard est possible: il s’agit de voir et de revoir les tableaux de l'artiste iconique David Hockney. Il est celui qui répète qu’il faut aimer la vie, que le monde est beau et que les saisons sont les choses les plus enthousiasmantes. Aujourd’hui dit-il, les gens ne voient plus car ils ont la tête pleine d’ordures . Or pour voir poursuit l’artiste, il faut avoir la tête claire. La peinture de David Hockney propose à son regardeur une fenêtre sur le monde, une vision claire de la nature traversée par des lumières que l’artiste saisit de plein fouet, dans la rapidité. La double exposition « David Hockney Œuvres de la collection de la Tate, 1954-2017 » suivie de « L’arrivée du printemps, Normandie 2020 » regroupe près de soixante ans de travail artistique avec pour seule passion la vie : ses désirs, ses paysages et ses lumières « capturés » sur la toile et sur l’écran.
A l’entrée de la visite, l’emblématique « Love Life » signé vert vif donne le ton. Il inaugure l’exposition comme une mise en abîme. Le corps du visiteur se faufile ensuite au travers d’un interstice étriqué, comme hors du monde. Il suffit de faire quelques pas de plus pour se retrouver face à l’une des pièces phares de l’exposition: des arbres peints sur une surface de cinquante tableaux que l’artiste réalise en 2017.
L’immersion est totale dans ce paysage peint si bien « qu’un œil distrait le prendrait pour un vrai ». Bien qu’appartenant à une génération d’artistes rejetant la figuration, David Hockney a toujours peint « ce qu’il voulait, quand il voulait, où il voulait ». A l’âge de 70 ans, il revient en Angleterre, terre de son enfance, et s’attèle à peindre ce qui l’inspira toute sa vie : le thème classique du paysage tout en restant contemporain, bien ancré dans son époque.
Nous traversons ensuite les différentes salles de l’exposition qui retracent les soixante ans de carrière artistique de David Hockney. Pas de « Bigger Splash » exposé cette fois-ci mais tout de même deux peintures de piscines qui rappellent son amour pour les transparences, ses miroitements et ses mouvements d’eau stylisés par des lignes ondulantes.
Nous sommes face à l’oeuvre emblématique Peter Getting out of the Nick’s pool qui a valu à David Hockney le prix John Moores de la Walker Gallery à Leverpool en 1966. Sur la toile, Peter se tient debout dans la piscine de Nick Wilder (le premier galeriste californien de David Hockney). Il est de dos, nu, avec l’eau jusqu’à mi-cuisses. Peter et David se sont rencontrés à l’université de Californie (UCLA). David Hockney y enseignait des cours avancés de peinture. Peter Schlesinger était son élève. Ses yeux noisettes habillés de ses longs cils, ses tâches de rousseurs et ses lèvres sensuelles ont happé la sensibilité de David Hockney. Cela s’est passé comme un éclair. Les deux amants ont ensuite vécu une passion amoureuse qui a duré près de cinq ans.
Les différentes étapes de l’exposition nous font entrer progressivement, parfois de manière insidieuse, dans l’intimité de David Hockney. Nous comprenons rapidement la sensibilité de l’artiste à la masculinité avec la série de couples dans le lit. Très tôt, le sujet masculin entre dans l’Oeuvre de David Hockney. Dès la fin des années 1950, alors même que l’homosexualité est toujours criminalisée aux Royaume Uni, il illustre les poèmes du grec Constantin Cavafy. Il découvre le poète durant l’été de ses 23 ans. Tous les jours, il affrontait le regard accusateur de la bibliothécaire pour ne jamais avoir à se séparer des mots de Cavafy. Par désir et par passion, David Hockney avait l’audace.
L’exposition met en lumière cette étape importante de sa vie en illustrant une série d’eaux fortes disposées les unes à côté des autres, comme des pages qui auraient été arrachées d’un livre. Des hommes peu vêtus y sont représentés par un trait fin et doux. La tendresse du geste est palpable. David Hockney a ainsi illustré les poèmes de Constantin Cavafy à une époque où son homosexualité était malmenée voire condamnée. A la suite de ces œuvres, il eut la certitude qu’il peindrait seulement ce qui comptait pour lui. C’était désormais sûr: il n’y avait rien de plus important que le désir et l’amour.
L’Amour, David Hockney l’a exprimé par le geste en peignant une série de portraits de personnes ayant compté pour lui. Nous y retrouvons l’emblématique Mr and Mrs Clark and Percy (représentant ses amis fraîchement mariés) ou encore My parents, rassemblés dans une seule et même pièce. Ces portraits, peints à l’aide d’une palette chromatique pure, donne une autre dimension à la peinture figurative: nous avons l’impression que l’artiste savait sonder les états d’âme de ses personnages.
Au fil de l’exposition, nous traversons les différentes périodes artistiques de David Hockney, toutes intimement liées à sa vie personnelle. Une vie où le hasard a occupé une place majeure, où la liberté est restée la seule constante de son existence. Il fait partie des rares peintres traitant le thème classique du paysage sans avoir peur de frôler l’anachronisme. Il est également de ceux qui, à l’aube de ses 80 ans, expérimentent et s’approprient les outils issus des technologies contemporaines. La fin du parcours célèbre ainsi la sigularité de l’artiste avec l’exposition « L’arrivée du printemps, Normandie 2020 ». David Hockney a réalisé ces oeuvres entièrement à partir de son Ipad pendant le confinement. Cette exposition témoigne de son infinie capacité à se renouveler, se réinventer, toujours. Nous quittons la forêt aride du Yorkshire, qui ouvrait le parcours de l’exposition, pour nous retrouver au coeur d’une nature luxuriante. Les oeuvres aux couleurs éclatantes séduisent l'oeil et le coeur: une impression de voir -et ce peut être pour la première fois- la saison du printemps. A travers ce parcours riche, la double exposition présentée à BOZAR rend hommage à ce que l’artiste a pu offrir à ses regardeurs pendant plus de soixante ans. Il est celui qui permet de (re)voir l’essentiel, le paysage et ses perspectives illimitées, sa beauté infinie.
Marie Chappaz